30 janvier 2007

Pour une refondation de l'économie politique

Il fallait vivre dans les brumes d'Ecosse et dans une société ignorante du soleil, des cigales et des plaisirs de la causette pour bâtir une théorie réduisant le marché à un instrument visant à faciliter les échanges commerciaux.
Il fallait ne connaître ni la douceur du printemps sur les rives de la Méditerranée, ni la senteur des figuiers ni l'ombre des oliviers pour croire que les hommes et les femmes ne se donnent rendez-vous sur les marchés et sur les places publiques que pour acheter au moindre prix.
Il fallait n'être jamais allé ni en Afrique ni en Orient, ne rien savoir des souks, du marchandage et des palabres pour penser, ne serait-ce qu'un instant, que la transaction la meilleure était la plus rapide, et pour considérer le temps dépensé dans la négociation commerciale comme du temps perdu. Il fallait, en un mot, être singulièrement introverti, solitaire et peureux d'autrui pour ne pas comprendre que c'est à la rencontre avec les autres que servent les marchés, et non à l'échange de marchandises qui n'en est que le prétexte.

Le temps est sans doute venu, pour reprendre une formule déjà utilisée par Karl Marx, de remettre d'aplomb une discipline qui n'en finit plus de marcher sur la tête, et dont il ne faut dès lors pas s'étonner qu'elle conduise à des conclusions erronnées. Le temps est sans doute venu de considérer l'échange de marchandises et la transaction commerciale, de façon plus générale, pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire un moyen, et non une finalité.

Nous dirons donc :
l'homme, animal social et sociable, aime le contact de ses semblables et aime s'y frotter. La finalité de l'échange n'est donc qu'indirectement l'objet échangé, c'est l'échange lui-même.De la même façon, la finalité de la transaction n'est qu'indirectement ce qui en est son apparent motif; c'est la transaction en elle-même et pour elle-même qui est recherchée.

Si l'on veut, pour faire sérieux, n'utiliser que le vocabulaire de Williamson et parler, pour faire chic, de coûts de transaction, on dira donc :
L'objet de la transaction est la transaction elle-même car l'homme adore transiger. Mais la transaction a parfois besoin de prétextes. Ces prétextes, ce sont les objets de la transaction, ces marchandises ou ces contrats de la négociation desquels on se prévaut pour entamer la conversation avec autrui ou pour rôder dans les magasins. Ces objets, dont je suis prêt à m'encombrer (car ils me sont en fait inutiles) et auxquels j'accepte de faire semblant de m'intéresser (alors qu'ils me passionnent bien moins que la vendeuse), me fournissent un motif raisonnable et opposable à autrui d'aller flâner dans les rues, histoire en fait de rencontrer du monde. Mais ces objets ont un coût. Ce coût, c'est le coût de la transaction, c'est-à-dire la somme dont je suis prêt à me délester pour avoir le bonheur de me frotter aux autres.

D'où il découle :
  • Que la finalité de la transaction est exactement le contraire de ce que l'économie politique ordinaire prétend qu'elle est. La finalité de la transaction, c'est la transaction elle-même, le frottement, l'échange de propos, c'est-à-dire ce que l'économie politique appelle ordinairement le coût de la transaction.
  • Que le grain de sable de la transaction, son instrument, ce qui lui est nécessaire bien que nous nous en passerions volontiers, en un mot : le coût de la transaction proprement dit, c'est la chose qui fait l'objet de la transaction.
Dont on peut facilement déduire :
  • Que nous cherchons, à chaque instant, à maximiser les transactions ( i.e. à maximiser ce que les économistes appellent les coûts de transaction) puisque ce sont essentiellement eux qui nous intéressent.
  • Que les objets de la transaction nous sont en revanche, et pour une bonne part, assez fortement indifférents, raison pour laquelle tout, ou presque, peut s'y prêter.
  • Plus fondamentalement, qu'une conception de la société et de l'économie qui croit qu'on va d'abord sur les marchés pour acheter des choses ne comprendra jamais rien aux marchés.

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