12 janvier 2007

Où il sera question de l'économie politique, de l'amour et du sens de la vie




L'économie politique (dont le calcul économique est l'instrument favori) poursuit l'ambition d'expliquer les comportements individuels et collectifs de façon rationnelle. Son hypothèse de base est que les femmes et les hommes agissent, à chaque instant (et dans la mesure où ils le peuvent) de façon à accroître au maximum (à maximiser, comme disent les spécialistes) leur utilité, cette utilité pouvant être mesurée, monétarisée (ce qui permet, ensuite, de les comparer entre elles).

Les économistes sérieux (et ils sont légion) reconnaissent que l'utilité ne saurait être réduite à l'intérêt financier. Ils acceptent donc que la gloire, le plaisir, le confort puissent être mis en balance avec les pièces sonnantes et trébuchantes. Ils disent cependant que même ces satisfactions non-monétaires peuvent être monétarisées puisqu'on accepte implicitement, en les choisissant, de ne pas en choisir d'autres qui sont directement monnayables. Ainsi, la valeur que je puis accorder au plaisir que j'éprouve à me promener dans la rue est calculable puisque, en me promenant dans la rue, je renonce implicitement à travailler à mon bureau, ce qui, sans doute, me rapporterait des sommes mirifiques. En d'autres termes, en choisissant de me promener pendant une heure dans la rue, j'indique que j'accorde à une telle promenade une valeur supérieure à celle que me rapporterait une heure de travail.

Ce raisonnement se tient. Il repose toutefois sur le postulat selon lequel l'utilité que je cherche à maximiser serait toujours mon utilité, selon lequel, au bout du compte, l'égoïsme l'emporterait toujours sur l'altruisme. Or cette vision est éminemment contestable. On pourrait en effet considérer que l'objectif final des membres d'une espèce humaine vivant depuis toujours en collectivité n'est pas d'accroître chacun son utilité mais de s'insérer le mieux possible au sein du groupe, en d'autres termes, de se faire reconnaître et aimer. Une telle interprétation présente plusieurs avantages sur la précédente :

  • Elle socialise l'utilité : nous ne sommes pas gentils avec les autres de crainte de souffrir un jour du retour du bâton mais parce que c'est le regard des autres qui nous importe, qui nous fait exister, y compris à nos propres yeux. C'est Vendredi qui rend Robinson à la vie et celui-ci revit de quitter la fange où son existence solitaire le conduisait à se vautrer.
  • Elle rend compte malgré tout de l'âpreté au gain : être riche, ce n'est pas seulement, comme pour les protestants de Max Weber, faire la preuve de son élection, c'est se rassurer sur son insertion. L'homme riche a de bonnes raisons de penser qu'il est utile puisqu'on le paye.
  • Elle permet cependant de dépasser les limites du modèle classique : celui-ci considère que le chômeur qui reçoit des allocations a, somme toute, intérêt à ne pas chercher d'emploi. Il est évident, au contraire, que le chômeur est malheureux car, aussi riche soit-il, il se sent mis à l'écart. L'argent est un indice de la reconnaissance qui vous est portée mais un indice pauvre. De la même manière, l'argent qui vous est donné permet sans doute de mesurer et d'acheter l'amour, la gloire, la reconnaissance. Mais quiconque est un peu bien né sait que les preuves véritables de l'amour, de la gloire et de la reconnaissance ne s'achètent pas. L'amour qui s'achète, l'amour véniel, n'a pas la même valeur que le vrai, non plus que la légion d'honneur obtenue par corruption. L'argent me permet donc d'accéder à des erzats de reconnaissance mais jamais la fortune de Crésus ne permettra de remplacer un vrai amour ou une vraie reconnaissance.


C'est être aimé et reconnu qui nous importe et c'est à cette fin qu'à chaque instant, nous modelons notre vie et nos gestes. Et cet objectif n'est, par nature, pas réductible à la poursuite d'un intérêt égoïste. Voilà pourquoi l'économie politique est, dans son état actuel, incapable d'expliquer quoi que ce soit. Voilà pourquoi ses postulats doivent être repensés.

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